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  • Ode au piano

     

    Ruban binaire où valsent avec entrain des mains,

    de noires en blanches, sans rien de manichéen

    Sur des touches à la mécanique bien réglée,

    Suite de demi-tons et tons harmonisés.

    Allegretto, ma non troppo, con spirito. 

    Pratique, il est ouvert et prêt à tout jouant

    Ludique, il attire les plus jeunes comme un aimant

    Sensible, il joue de séduction tel un amant

    Sentimental, il inspire les âmes à tout vent.

    Allargando, ma non troppo, con moto. 

    Jeu de mains pas vilain, ensemble ou à son tour, 

    Il s’apprivoise en jouant un peu chaque jour,

    Comme on s’entraine pour une longue randonnée

    Selon un rythme et doigté bien articulé.

    Crescendo, ma non troppo, con fuoco

    Ses émotions sont un panorama de saisons

    En accords majeurs ou mineurs à l’unisson

    De ses basses résonnant comme un cœur battant

    Aux aigües brillantes tel un cours d’eau ruisselant.

    Meno mosso, ma non troppo, con brio. 

    En suivant les conseils d’un guide très avisé,

    Son apprentissage permet d’atteindre des sommets

    Avec en prélude, quelques marches et fantaisies,

    Où l’on découvre la vibration par sympathie.

    Tempo primo, espressivo, piano, piano... 

    Et si, comme moi, sur ses chemins cadencés

    Vous jouez de chance et croisez une ode passionnée

    Suivez en confiance ses harmonies orchestrées

    Ouvrant des horizons aux mesures enchantées.

  • Un mercredi à la préfecture

    L’aube se dispersait progressivement, éclairant une ville déjà très agitée. Devant la préfecture, comme chaque matin dès potron-minet, une longue file bigarrée composée principalement d’hommes de tous âges, encadre le bâtiment, patientant avec calme, parfois depuis plusieurs heures malgré le froid mordant de ce mois de décembre. Généreusement, des retraités s’activent à servir cafés et thés chauds accompagnés d’un morceau de brioche et de quelques mots réconfortants : « mon amie avait fait trop de gâteaux, on s’est dit qu’on allait partager ! Thé ou café ? Un sucre ? ». C’est beau l’humanité en action.

    Puis à 8h30, les portes enfin ouvertes, la file peut s’ébrouer péniblement en un lent mouvement régulier. A deux pas du château de la ville Royale, personne ne semble surpris de voir ces hommes attendre. Les autochtones se hâtent détournant le regard, absorbés par des soucis d’un autre ordre. De jeunes collégiens se pressent sacs au dos sans prêter attention à ce qui se joue derrière cette ligne humaine. Seule une maman précédée de sa poussette et escortée de trois enfants leur explique que s’ils devaient partir vivre à l’étranger, eux aussi auraient besoin de faire des papiers comme tous ces gens qui attendent là. Une large moto rutilante, remonte la contre-allée longeant le trottoir sous le regard admiratif des jeunes hommes rêvant d’une vie meilleure.

    8h52, à l’approche du porche d’entrée, le service de sécurité tente d’expliquer à un homme dépité, comprenant difficilement le français qu’il n’y a plus de tickets pour les titres de séjour, le quota des 120 quotidiens est atteint, il lui faudra revenir encore plus tôt (plus tôt que 7 heures) un autre matin s’il veut avoir une chance de ne pas passer son tour. A l’heure d’internet, d’aucuns s’étonnent « pourquoi ne donnent-ils pas des rendez-vous par créneaux horaires ? ».

    Une fois passé le portail de sécurité et obtenu le précieux ticket d’attente, il faut à nouveau prendre son mal en patience. Tous les sièges sont vite occupés et les places sont chères. Le temps s’égrène lentement. On pourrait se croire dans un aéroport international où se croise le monde entier. Certains fatigués de l’attente matinale, se laissent aller à un sommeil léger en attendant leur tour. Le silence est plus que relatif, ponctué d’appels nominatifs et d’avertissements sonores réguliers provenant des écrans d’affichage indiquant que tel guichet attend le numéro suivant. Dans ce lieu où tous viennent chercher des papiers, renouveler un droit, être régularisé, accueilli, changer de vie, devenir français, échanger un permis de conduire, etc., les agents ne ménagent pas leur peine. Et lorsque le ton monte à un guichet où une femme fait un esclandre. « C’est pas possible ! Je vais me plaindre !!! J’en peux plus… » prenant la foule assoupie à témoin, la sécurité intervient vite et une responsable prend aussitôt en charge le problème.  Ne pas laisser monter les tensions.  

    Les heures passent, les plus matinaux repartent contents d’avoir obtenu ce qu’ils attendaient. Les autres patientent encore et toujours. Dans un coin, des cris d’enfants se font entendre. Pourtant, aucun enfant ne faisait la queue à 7 heures en attendant l’ouverture ? Des poussettes sont apparues, des bébés portés, des petits, des moyens et des plus grands, tous accompagnant leurs parents, passage obligé pour obtenir les papiers pour toute la famille. Oui, c’est mercredi ! Le jour des enfants !

    Et d’un coup la vie est là sous nos yeux dans l’innocence de ces enfants dont l’avenir se joue peut-être en ce lieu. Les bébés dorment, on se demande comment dans ce brouhaha constant de gare. A un guichet, un jeune garçon d’environ 12 ans, d’origine slave, traduit à ses parents ce que vient de lui dire l’agent : il s’est trompé en remplissant la demande d’asile et elle n’est donc pas acceptée. Il faut recommencer toute la procédure. L’officier de la préfecture explique avec beaucoup de gentillesse au jeune garçon ce qu’il doit faire pour ne pas reproduire la même erreur. Quelle responsabilité pour ce garçon, si jeune et déjà en charge de faire toutes les démarches pour ses parents qui eux ne parlent pas français ! 

    Plus loin, une maman africaine en boubou suivie de ses quatre enfants sapés comme pour une noce, se dirige vers le guichet. Hélas, il manque un papier. Tractations. Le fils ainé, d’environ 10 ans, est envoyé en mission et repart avec un papier pour aller faire une photocopie. Tout beau dans sa chemise blanche immaculée, il bombe le torse et avec fierté s’en va d’un pas assuré montrer à tous qu’il se débrouille de tout ça, tandis que le reste de la fratrie monte la garde auprès de leur mère.

    Et puis, là sur les escaliers, un petit groupe de quatre ou cinq enfants s’est formé, tous d’origines différentes, mené par une petite fille aux longs cheveux noirs et au manteau étoilé qui du haut de ses 6 ou 7 ans, sait déjà parfaitement faire tourner son monde. Ses parents l’appellent sans cesse, mais elle esquive et continue son jeu avec beaucoup d’imagination et de détermination. A son âge, qu’y  a-t-il de plus important que jouer ? Le jeu commence par un saute-marche, une puis deux, puis trois… Cap ou pas cap ? Plusieurs enfants s’y mettent. Chacun son tour, dirige la meneuse étoilée ! Les adultes s’agacent, il faut arrêter. On joue à chat ? En se cachant derrière les jambes des parents, c’est très amusant ! Mais rapidement encore il faut trouver autre chose, les adultes n’aiment pas ça et un parent a repris d’autorité son enfant pour l’enlever du jeu. « Le père Noël ne viendra pas si tu n’es pas sage » gronde un papa.  Une petite fille blonde, vêtue de rose, chantonne une comptine avec les mains. Les autres enfants la regardent avec envie. Non loin, un petit homme en treillis, costaud pour ses 5 ou 6 ans, regarde avec curiosité ces jeux. Il a bien envie d’y participer mais cache son visage derrière les jambes de ses parents dès que la meneuse étoilée vient lui adresser la parole. Le gros dur est intimidé. Elle discute avec lui, mais la barrière de la langue ne lui permet pas de finaliser sa négociation. Qu’importe, la voilà repartie pour une autre aventure ; c’est un siège qui fera l’affaire pour le prochain jeu, tel un toboggan, on y grimpe et dégringole ! On peut même se cacher en-dessous ! Voilà qui amuse un petit père Noël de 4 ans assis en face sur les genoux de sa maman.

    Et c'est ainsi que le temps a pu passer, devant ce spectacle de l'innocence, de l'imagination toujours renouvelée et de la joie simple. Papiers ou pas, le mercredi, il faut relativiser car il y a des priorités que les adultes ne soupçonnent pas !!

      (Décembre 2019) 

  • Bouée de sauvetage

    • Le 24/09/2020

    Il y a une semaine, un message sur mon téléphone. « Madame bonjour, disait une voix hésitante, mais pas chevrotante. Je vous appelle de la part de l’assistante sociale, qui étant donné ma situation relativement catastrophique, pense qu’il n’y a que vous, avec votre expertise, qui pourrez me sortir de cette galère. C’est vraiment un SOS, je suis complètement noyé. »

    La voix semble s’étrangler et continue : « Je deviens aveugle et je suis noyé dans tous ces dossiers administratifs. Donc un écrivain public, expert dans ce domaine, ça pourrait vraiment m’aider. Voulez-vous me rappeler s’il vous plaît ? Je serai vraiment ravi si vous pouviez travailler pour moi. Je le vis comme un sauvetage. Je suis en train de me noyer, vous êtes comme une bouée de sauvetage pour moi. Merci beaucoup madame, merci. »

    J’ai rarement des messages aussi désespérés et imagés. Je le rappelle rapidement et nous discutons un bon moment. Il m’expose deux ou trois de ses difficultés et je le rassure sur mes capacités à pouvoir l’aider, il a été bien conseillé ! Nous convenons d’un rendez-vous pour le mercredi suivant. Il se confond en remerciements, ajoutant que j’allais lui sauver la vie et me dit au revoir d’un ton plus souriant, comme soulagé. Je raccroche satisfaite de lui avoir fait du bien, et touchée par cet homme à la voix posée qui m’affuble d’un étrange rôle de super-héros. Quel singulier métier j’exerce que de pouvoir ainsi donner aux autres l’impression de les sauver !

    Mercredi, 17 heures, appartement 247, munie de ma panoplie de super-héroïne, je sonne. Rien. Je sonne encore (il voit mal, il faut lui laisser du temps). Aucun mouvement perceptible de l’autre côté de la porte. J’écoute le silence qui ne dit rien de bon. Je suis très étonnée de m’être fait poser un lapin alors que l'homme avait l’air si rasséréné à l’idée de me rencontrer. Je retrouve le message de la voix désespérée et appelle son numéro. Les sonneries rythmées se succèdent laissant seul le vide me répondre. Je laisse un message. Après quelques minutes à attendre un hypothétique retard, je m’apprête à redescendre quand je croise une voisine. « Michel ? oh, le pauvre, vous n’avez pas été prévenue ? Il est mort dimanche ! ».

    Un ange passe… Paix à son âme.

    Même pas eu le temps de le sauver.

  • Bienveillantes

    Au cœur des Yvelines, au pied d’une abbaye en ruine

    Il y a avait là Anne, Alexandra, Hélène et Perrine,…

    Par groupe de dix, masquées, elles se découvraient.

    Olivia, Odile, Émilie, Elodie, et Maïté,…

    Pas de chichis entre femmes, et mères de famille

    Catherine, Cécile, Geneviève et Camille,…

    Inconnues il y a un instant, les voilà dans la confidence

    Brigitte, Agnès, Chantal, et Constance,…

    Toutes différentes, mais animées d’une même foi, 

    Blanche, Florence, Capucine et Linda,…

    Jeune ou petite, blonde ou métisse, mince ou ridée

    Julie, Virginie, Carole et Chloé,…

    Institutrice ou juriste, infirmière  ou adjointe au maire,

    Marie-Lucie, Aurélie, Kandice et Claire,…

    Pédiatre, ostéopathe, ingénieure ou professeure,

    Nathalie, Sophie, Zhor et Eléonore,…

    Avec sur le dos, bien plus qu’une simple sac à pique-nique

    Adeline, Annie, Sabine et Véronique…

    Des intentions pour leurs familles, enfants, maris, amies,

    Daphnée, Amélie, Bérénice et Stéphanie…

    Habituées du Rosaire ou jeunes converties,  cathos touristes ou accros,

    Adèle, Corinne, Pauline et Margaux…

    A mesure que les louanges montaient, leur fardeau s’allégeait

    Agathe, Laetitia, Diane et Alizée…

    Sur ce chemin inconnu, tortueux ou pentu, sauvage ou sage  

    Suzanne, Isaure, Aude et Solange…

    A l’image de leurs jours, chagrins ou radieux, paisibles ou douloureux, chargés ou ennuyeux   

    Aliette, Mathilde, Béatrice et Yseult,…

    Pèlerines et amies d’un jour, écoutées et portées avec bienveillance,

    Patricia, Gwénola, Isabelle et Clémence,…

    Ce fut une journée joyeuse, fervente, enthousiasmante et magnifique  

    Céline, Elisabeth, Armelle, Dominique…

                                                                       et tant d’autres !

  • Mère d'endogirl

    • Le 29/06/2020

    A l’attention des parents de filles (non ! les règles douloureuses, ce n’est pas « normal » #endometriose)

    L’endométriose de ta fille, ça commence par des règles douloureuses. Toi sa mère, tu te souviens de cette période difficile, des absences au collège avec motif «indisposée», des journées et soirées gâchées, de 31 décembre dans ton lit en chien de fusil, des malaises et nausées... Donc naturellement tu conseilles à ta fille ce qui te faisait du bien, les bains à 40° pour te soulager, la marche à pieds, le spasfon et le doliprane, « arrête de t’écouter, c’est comme ça ». Tu ne savais pas que c’était bien plus que ça

    L’endométriose de ta fille, c’est le numéro du lycée qui s’affiche régulièrement pour venir la chercher, deux fois, dix fois, vingt fois, tu ne sais plus combien de fois.

    L’endométriose de ta fille, c’est une 1ère gynéco pas à l’écoute, puis un jour de douleurs au lycée, une camarade qui donne le numéro d’une spécialiste qui mettra un nom sur ce qui lui arrive « endométriose »,

    L’endo de ta fille, c’est un parcours médical, le début d’examens délicats pour une jeune fille encore vierge, la découverte que les médecins sont peu formés sur ce sujet, et pas toujours très psychologues

    L’endo de ta fille, c’est une chambre de jeune fille qui peu à peu se transforme en pharmacie : une première pilule, une deuxième, une troisième, un anti-douleur, un autre plus fort, et encore plus fort, un anti-inflammatoire, et encore et encore

    L’endo de ta fille, c’est quand à l’âge où ses ami-e-s sortent et profitent des belles années de l'insouciance estudiantine, elle, est couchée à 21h, parce que ça fait des semaines qu’elle a des saignements, parce qu’elle est épuisée, a perdu 12 kg en un an, parce que les douleurs s’augmentent toujours, tout le temps, parce qu’elle n’est bien qu’en compagnie de sa bouillotte

    L’endo de ta fille, c’est quand tu découvres que la peau de son ventre est brûlée par les bouillottes

    L’endo de ta fille, c’est quand ta fille est ménopausée (artificiellement) avant toi

    L’endo de ta fille, c’est quand tu ne sais plus toi parents, juger du niveau de la douleur de ta fille, c’est ce sentiment d’impuissance quand toi, père ou mère, tu ne peux rien faire pour alléger cette souffrance, à part des câlins et de l’écoute,

    L’endo de ta fille, c’est la maladie qui gagne du terrain, des problèmes gastriques, une soirée aux urgences pour triple ulcère à cause des anti-inflammatoires, des passages aux urgences pour s’entendre dire « prenez rdv avec votre gynéco », la recherche d’une spécialiste vraiment spécialiste…

    L’endo de ta fille, ce sont tous ces médicaments aux effets secondaires inacceptables, choisir entre la peste et le choléra… c’est quand tu trouves ta fille allongée sur le sol après la prise d’un nouveau médicament anti-douleur : « je n’ai plus mal, mais je peux plus bouger », ou quand elle te dit « ça va mieux, je n’ai plus envie de me couper la jambe »…

    L’endo de ta fille, c’est quand elle ne peut même plus se baisser pour mettre son couvert dans le lave-vaisselle, plus porter de choses lourdes, c’est un hoquet persistant depuis un an,

    L’endo de ta fille, c’est la fierté de la voir se débrouiller toute seule dans tout ce parcours du combattant avec beaucoup de courage, c’est une sacrée nana !

    L’endo de ta fille, c’est quand ta fille est devenue spécialiste de sa maladie avec des mots que tu ne connais pas, que tu découvres qu’elle se démène avec beaucoup d’intelligence pour faire connaître autour d’elle cette maladie qui touche 1 femme sur 10 ! (souvent découvert tardivement quand les femmes ont des difficultés à avoir des enfants),

    L’endo de ta fille, c’est quand ta fille en sait plus que sa généraliste, quand elle a changé 3 fois de gynéco, quand il n’y a plus de médicaments pour soulager tous ses maux,

    L'endo de ta fille, c’est aujourd’hui, une opération pour enlever ces cellules d’endomètre qui sont parties se nicher on ne sait où et qui lui occasionnent tant de douleurs partout, et l’espoir d’une rémission pour qu’enfin, elle puisse avoir une vie de jeune de son âge…

    Alors oui, il faut le faire savoir à tous les parents, à nos amies, et ne plus laisser souffrir nos filles !

  • Le mystère des anges

    C’était une gentille petite vieille dame, de celles qui servent un thé avec des petits gâteaux aux visiteurs de passage et demandent des nouvelles de la famille. La vie ne lui avait pas donné une famille aimante petite, et puis il y avait eu la guerre et ses privations qui, selon les médecins, avaient rendu sa santé fragile, comme toute sa génération. Pourtant, elle ne se plaignait pas, n’était pas pleurnicharde, jamais.

    Il y a quelques temps déjà, elle avait dit à son mari : « tu sais, je meurs ». Elle n’était pas triste ni révoltée. Il n’avait pas voulu entendre : il était le plus âgé, c’était donc lui qui partirait en premier, en toute logique ! Il avait tout préparé en ce sens et tout calculé pour qu’elle soit à l’abri du besoin et qu’elle n’ait rien à demander aux enfants qui ont leurs propres soucis. Pourtant les alertes se faisaient plus fréquentes. Et encore cette fois-ci où son mari l’avait retrouvée par terre, il ne savait pas depuis combien de temps. Le médecin avait dit à son mari : « elle quitte les urgences, je la fais monter en rééducation pour la remettre d’aplomb et ce sera tout bon ! ». C’est en tout cas ce que lui avait compris. Il était venu la voir ce jour-là, comme tous les jours. Elle lui avait dit des mots décousus qu’il n’avait pas compris tout de suite : « les enfants….. en-haut... poisson…. cuire…». Puis fatiguée, elle s’était tournée. Et c’est là qu’il l’avait vu. C’était un visage qu’il ne lui connaissait pas : comme transfiguré. Elle était lumineuse, avec une sorte de halo, et avait d’un coup un visage rond avec un sourire béa de bonheur comme… comme… oui, c’est ça, comme un chérubin ! Ce sourire avait l’air de dire « je pars », mais il était tranquille, apaisé. C’est ce qu’il racontera à sa fille le soir, il avait eu la vision d’un ange quand sa mère s’était retournée ! Ca ne l’avait pas étonné pour autant sur le moment. Le lendemain, il était allé visiter des maisons de retraite avec sa nièce et ne put venir voir sa femme à l'hôpital. Hélas ! Le téléphone sonna le soir. C’était l’hôpital, elle s’en était allée sans avoir revu son mari.

    Trois mois plus tard, notre veuf partit se reposer quelques jours en Normandie. Elle lui manquait, c’était terrible. A 91 ans, il découvrait en vérité la signification pour un couple du mot « moitié ». Il l’avait perdue sa moitié, il était à présent comme bancal, amputé. Il se rendit à Cabourg, dans cette ville balnéaire où ils aimaient ensemble venir se ressourcer. Il marchait cet après-midi là sur cette longue promenade en front de mer qu’ils arpentaient souvent. Sur un banc, seul, abandonné, un livre. Il regarda aux alentours, personne d’autres que lui en cette journée d’octobre, la promenade était vide. « Le livre des Anges ». Il le ramassa, le regarda « témoignages vécus ». Dès le début, ce livre l’interpella, et rapidement il tomba sur un passage qui le laissa coi : « leurs visages étaient ronds avec des sourires de chérubins ». C’était exactement ça ! C’est ce qu’il avait ressenti et vu sur le visage de sa femme. Sur la page précédente, il était écrit qu’une personne voyait des anges quand quelqu’un allait mourir. Ca lui en a mis un coup de lire ça ! L’impression de déjà vu, déjà vécu ! Mais ce n’était pas qu’une impression puisqu’il avait partagé cette expérience avec deux personnes de son entourage. Ce livre venait confirmer ce qu’il avait ressenti. Il avait bien vu un ange, et c’était la dernière fois qu’il avait vu sa femme vivante.

    Ce livre était-il là par hasard ? Non, il est en certain, c’était un signe de sa femme : « je suis arrivée là où je pensais, ça va bien en-haut ». Depuis, il est paisible, et n’a plus peur de la rejoindre un jour.

  • La valise du pèlerin

    Deux étoiles avancent dans la nuit et s'arrêtent aux pieds de mon logis.

    L'estafette chargée de biens précieux me dépose un baluchon poussiéreux.

    Comme un enfant ébaubi devant un présent, j'ouvre ce sac attendu impatiemment.

    Une fois écarté un paquet de linge encrassé sans intérêt,

    Plus qu'un simple bagage, s'étale sous mes yeux un témoignage :

    deux cailloux à l'éclat simple et coloré comme les beautés de ces paysages arides et inhabités

    une poignée de sable du désert, comme autant de pèlerins allant semer la bonne parole sur terre,  

    une fiole d'eau du Jourdain, pour chaque jour renouveler sa foi et son entrain,

    une faïence de Tabgha qui à défaut de multiplier le pain, servira l'apéro aux copains,

    un rameau du mont des oliviers, symbole de la force de l'amitié,

    des croix de Jérusalem à offrir à ceux que j'aime,

    des objets pieux pour aider ceux qui les recevront à louer Dieu,

    un carnet de chants noirci d'écrits plus ou moins savants, mémoire de moments de louanges et d'enseignements,

    une Bible devenue illustrée, vrai trésor d'espérance à puiser, d'amour à donner,

    et un châle en cachemire du souk multiculturel, souvenir d'un chemin de Croix éternel.

    Tous ces souvenirs très présents allègent mes pas pour aller partager cette grande joie

    rapportée de ces lieux dont le seul nom "Terre Sainte" fait briller les yeux des plus pieux.

  • Le funéversaire

    Funeste anniversaire ni festif ni austère 

    qui rassemble quatre enfants autour d’une mère,

    en mémoire du triste jour où leur père

    a cédé aux assauts répétés du cancer.

     

    L’absence est peu visible en ces murs qu’il avait choisis

    où chaque objet parle d’un moment de sa vie,  

    où le petit salon s’est paré de son visage à travers les âges

    et près de cinquante années de mariage.

     

    L’absence est un bouquet d’émotions

    Du premier printemps qui pleure sans raison

    à l’été aux cœurs réchauffés et aux noces d’or sans marié

    à l’hiver cruel qui réveille des douleurs non soignées.    

     

    L’absence a résonné à chaque goutte de pluie du toit qui fuyait

    Devant la piscine verte qu’aucun chlore ne pouvait réguler

    Devant ce potager sans salades ni tomates pour se régaler

    Dans cette moitié de lit aux draps jamais défaits.

     

    L’absence est une suite de clins d’œil réguliers,

    Un message non-envoyé dans un lieu qui l’aurait interpellé,

    Un surnom à (quasi) exclusivité qui n’est plus prononcé

    Une fête des pères sans coup de fil à passer  

     

    L’absence est un album de souvenirs sans fin

    Où chacun dépose à satiété les siens

    Un bon mot, une  photo, un instant commun

    où l’on se dit que la vie à parfois de drôle de desseins

     

    Et quand penser à l’absent accroche un sourire,

    rendant présents les souvenirs,

    chacun réalise l’importance de se réunir

    pour partager des moments de plaisir.